Babelzin et les lieux d’accueil comme lieux de soins

Désinstitutionalisation et solitude

L’époque est à la désinstitutionalisation. Depuis trente-quarante ans, les méthodes et les programmes définissent une pratique associant soins et interventions sociales centrés sur le milieu de vie des patients. Que ce soit le principe du « case management », le développement des équipes mobiles ou des programmes tels que le PACT (Program of Assertive Community Treatment), il s’agit de maintenir le patient dans son milieu de vie et de le soutenir dans les différents domaines de son existence : logement, éducation, profession, loisirs, etc. Le réseau est dès lors devenu un concept important : les différents intervenants sociaux doivent s’articuler, communiquer pour s’accorder sur les objectifs à atteindre et soutenir l’évolution du patient vers plus d’autonomie.

Les pouvoirs publics ne s’intéressent plus aux contenus des soins mais surtout à leur localisation : il faut à tout prix éviter les hôpitaux et surtout les hôpitaux psychiatriques, descendants directs de l’asile, et soigner les gens chez eux, à leur domicile, dans leur quartier. Ce courant actuel de désinstitutionalisation est mondial. L’approche communautaire est la référence mondiale. Elle s’enracine dans une vieille antipsychiatrie héritée de Goffman et Foucault mais est aussi inspirée par des objectifs uniquement économiques de réduction des coûts. En Belgique, c’est la réforme dite 107 qui a piloté cette volonté de désinstitutionalisation en exigeant la fermeture des lits hospitaliers pour diriger les moyens humains et financiers des soins vers le communautaire.

Le modèle qui inspire ce mouvement est celui d’un patient qui, avec l’aide des acteurs du réseau, retrouverait une autonomie suffisante pour vivre chez lui ou en famille, s’inscrirait dans la vie et les activités de son quartier ou de son village et, si possible, retrouverait une place dans le circuit du travail. Mais pour un nombre important de personnes atteintes de pathologies psychiatriques ou de retard mental, la réalité du quotidien est tout autre : elles sont fortement isolées socialement et vivent dans la précarité. Leurs pathologies les ont parfois exclus de leurs familles, de leurs amis, de toute activité de loisirs et de toutes exigences professionnelles. Les aides à domicile, les équipes mobiles sont pour certains les seuls contacts sociaux qui leur restent. Ils n’ont pas retrouvé lors du retour au domicile la dimension de collectivité qu’ils ont peut-être connue à l’hôpital ou dans des institutions. L’isolement social et la solitude sont la réalité quotidienne de certains, et parfois ils regrettent ces possibilités de lien social offertes par les lieux résidentiels. Il nous est arrivé que des patients demandent à revenir à l’hôpital en décembre pour pouvoir passer les fêtes de fin d’année avec d’autres personnes.

Prendre en charge les pathologies psychiatriques

Reprenons la définition que Jacques Schotte donnait des troubles psychotiques : « Si le social est la communication dans l’espace, et l’histoire la sociabilité dans le temps, alors celui qui souffre de troubles psychotiques est dans cette incapacité douloureuse de construire pleinement le social et l’historique ». Le social, au sens du relationnel, est central dans les pathologies psychiatriques et les soins doivent porter sur cette difficulté. Les études, entre autres menées par le Prof. Jim Van Os, montrent que l’efficacité thérapeutique d’un soignant ne dépend pas de ses techniques de soins, de sa méthode ou de ses références théoriques (psychanalyse, TCC ou une autre des centaines de modèles existants) mais des capacités relationnelles du thérapeute. La vie est une succession de relations et donc de débats, de compromis, de médiations. Et les rapports entre soignants et entre soignants et patients ne font pas exception à cette règle. Une grande partie du travail des soignants consiste dans le traitement de ses difficultés relationnelles : régler les problèmes relationnels entre patients, entre soignants, entre un soignant et un patient, essayer de convaincre un patient de consulter un médecin, etc.

Occupationnel ou thérapeutique ?

Les lieux d’accueil, le Babelzin, les activités qu’ils proposent sont-ils de l’occupationnel ou du thérapeutique ? Cette question n’a aucun sens. On y retrouve les débats stériles du siècle passé entre, d’une part, les partisans de la psychothérapie institutionnelle qui défendaient la dimension thérapeutique de tout soignant et même des patients au sein des institutions, et, d’autre part, les psychanalystes qui considéraient que seule la cure psychanalytique classique, en relation duelle, menée par un psychanalyste reconnu, était thérapeutique, tout le reste n’était que soins, nursing ou occupationnel. L’absurdité de ces derniers allait même jusqu’à interdire aux infirmiers de parler aux patients, seuls les psychanalystes étaient capables de manier le langage et le transfert correctement.

Entre-temps, nous avons compris qu’il est sans doute impossible de définir ce qui est « thérapeutique », de le distinguer des soins et que même si on s’accordait sur une définition du thérapeutique comme ce qui pourrait modifier la « subjectivité de la personne », c’est-à-dire son mode de pensée, il serait de toute façon impossible de déterminer à l’avance ce qui est ou n’est pas thérapeutique. C’est dans l’après-coup qu’une personne et seulement elle peut dire ce qui a eu éventuellement un effet « thérapeutique ».

Mais il est évident que les lieux d’accueil sont des lieux de soins : ils soignent cette solitude, cette « incapacité douloureuse » du relationnel. La dimension collective de ce qui s’y vit, à travers les ateliers et à travers les moments de vie en commun, est une tentative de soigner les difficultés relationnelles. Il s’agit d’apprendre ou de réapprendre à s’accepter soi-même en relation avec d’autres, à réapprendre à s’accommoder de soi et des autres par le biais du collectif. Ces lieux doivent être complémentaires aux autres dispositifs de soins en tant qu’ils proposent des endroits d’accueil, de rencontres, d’activités, d’échanges qui permettent à certaines personnes de rester dans un certain lien social alors que leurs pathologies et leur situation sociale rendent d’autres expériences sociales impossibles.

Jean-Louis Feys
Psychiatre directeur du Campus Santé Mentale St-Bernard (hôpital psychiatrique de Manage) et consultant au SSM Le Grès en lien avec le lieu de lien Le Babelzin.
Auteur des livres:
L'anthropopsychiatrie de Jacques Schotte
Du symptôme aux discours lacaniens - Enjeux cliniques
Quel système pour quelle psychiatrie? - Prix 2009 de l'Evolution psychiatrique

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